Posté par Christian Gambotti, le 22 décembre 2023
Par le Pr Christian Gambotti - Agrégé de l’Université, Président du think tank Afrique & Partage, Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches du l’Afrique de Demain), Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan), Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact email : cg@agriquepartage.org
Faut-il mettre sur le même plan les coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso, au Niger, en Guinée et la passation forcée du pouvoir au Gabon ?
Le 30 août 2023, le Gabon a connu un coup d’État militaire organisé par le général Brice Clotaire Oligui Nguema. La CEEAC a immédiatement réagi, notamment par la voix de l’Angola, dont le président, João Manuel Gonçalves Lourenço, a condamné en des termes peu diplomatiques la passation forcée du pouvoir au Gabon. Le président angolais craint en effet une épidémie de putschs militaires. Or, selon les observateurs, le coup d’État militaire du 30 août à Libreville n’est nullement comparable aux coups d’État militaires sahéliens. La différence est notable.
D’un côté, les putschistes maliens, burkinabè, guinéens et nigériens veulent substituer aux alliances traditionnelles avec l’Occident, de nouvelles alliances tournées vers le « Sud global » qui a le vent en poupe et qui comprend notamment la Russie. De l’autre, les militaires gabonais ont voulu mettre fin, après 55 ans de règne, à l’ère Bongo et fils. Défini comme un « coup de liberté », ce coup d’État a été accueilli favorablement par les populations et la diaspora. Plus de 100 jours après le « coup de liberté », l’une des priorités du général Oligui Nguema reste d’obtenir de la CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale) la levée des sanctions prises contre la transition gabonaise. L’offensive diplomatique du général Oligui Nguema se heurte à l’hostilité de l’Angola.
La dégradation des relations entre l’Angola et le Gabon
Les incidents diplomatiques entre Luanda et Libreville s’expliquent-ils justement par le refus du président angolais João Manuel Gonçalves Lourenço, président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, et le président de la Commission de la CEEAC, l’Angolais Gilberto da Piedade Verissimo, de faire la différence entre les coups d’État militaires au Sahel et la passation forcée du pouvoir au Gabon ? Signe de la défiance du pouvoir angolais à l’égard du Gabon, l’ambassadeur de l’Angola au Gabon aurait refusé de reconnaître le nouveau pouvoir gabonais suite au coup d’État du 30 août dernier, en n’acceptant pas que le portrait du général Brice Clotaire Oligui Nguema soit mis aux côtés de celui du président angolais. À la suite de quoi, le 13 décembre 2023, le Gabon a rappelé son ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire en Angola « pour consultations ».
Il s’avère que, dès le 4 septembre 2023, l’Angolais Gilberto da Piedade Verissimo s’est fait remarquer en demandant à la CEEAC de condamner le coup d’État au Gabon et en délocalisant, sans base légale, le siège la CEEAC de Libreville à Malabo. Désaveu pour l’Angola : le 15 décembre 2023, à Djibloho en Guinée Équatoriale, lors du Vème Sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEEAC, le siège de la CEEAC a été maintenu au Gabon. Venu uniquement pour s’opposer à la levée des sanctions envers le Gabon, João Manuel Gonçalves Lourenço serait reparti avant la fin du Sommet. L’attitude de l’Angola est difficile à comprendre, sauf à admettre qu’il n’existe aucune différence entre les coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Niger et celui du Gabon. Or, cette différence existe, la CEEAC ayant reconnu le « caractère paisible et inclusif » de la transition gabonaise.
Comment interpréter le coup d’État militaire au Gabon ?
Le coup d'État militaire au Gabon n’est-il qu’une « révolution de palais », expression dépréciative, qui consisterait à dire qu’Ali Bongo a été remplacé par un autre lui-même, conduisant la même politique ? Il s’agit, paradoxalement, d’autre chose : j’interprète le coup d’État militaire au Gabon, perpétré le 30 août 2023, comme une véritable révolution dont le caractère permet de dire qu’il s’agit, en déposant Ali Bongo, de rendre le Gabon aux Gabonais et de restaurer l’ordre démocratique. Le coup d’Etat intervient sur fond de contestation de la réélection du président sortant Ali Bongo. Cette réélection a souffert d'un manque de transparence : ni les observateurs internationaux, africains ou européens, ni les journalistes étrangers n'ont été autorisés à couvrir ces élections.
Pour les putschistes, le président sortant « n'avait pas le droit de faire un troisième mandat, la Constitution a été bafouée, le mode d'élection lui-même n'était pas bon, à quoi il faut ajouter la mauvaise organisation du scrutin. Donc l'armée a décidé de tourner la page, de prendre ses responsabilités ». Les militaires l’on fait en lien avec les aspirations des populations avides de développement et de liberté. La majorité des pays membres de la CEEAC ne s’y est pas trompée, contrairement à l’Angola. Tout en maintenant la suspension du Gabon de la CEEAC, l’organisation internationale reconnaît le « caractère paisible et inclusif » de la transition gabonaise. La CEEAC n’entend pas traiter le Gabon de manière injuste, car elle considère que le nouveau pouvoir, qui respecte tous ses engagements à l’international et ne menace pas la stabilité régionale, présente toutes les garanties pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel.
Les observateurs internationaux considèrent que le général Brice Clotaire Oligui Nguema ne navigue pas dans les eaux troubles de l’aventurisme politique et qu’il entend reconstruire le Gabon avec les appuis traditionnels du pays. Il a donné des gages dans ce sens. Je constate d’ailleurs que l’Union africaine (UA) a réagi de façon minimaliste à l’égard du coup d’État des militaires gabonais, alors qu’elle a mené une véritable offensive diplomatique et pris des sanctions à l’encontre des putschistes de Afrique de l’Ouest.
Le Gabon, un État discrédité
Ali Bongo qui avait succédé à son père Omar à sa mort en 2009, a vu sa gouvernance régulièrement dénoncée pour l'ampleur de la corruption qui s'y pratiquait. Les putschistes, menés par le général Brice Oligui Nguema, ont renversé Ali Bongo, accusant son régime et les membres de sa famille de « détournements massifs » de fonds publics. Le nouvel homme fort du Gabon, s’adressant publiquement à des centaines de hauts fonctionnaires et cadres du secteur public, avait déclaré : « Venez de vous-même restituer les fonds détournés sous 48 heures sinon nous viendrons vous chercher et vous verrez la différence ».
Riche de son pétrole, le Gabon s’est contenté de vivre de la rente de l’économie pétrolière, refusant de diversifier son économie, sacrifiant son agriculture, livrant ses forêts au trafic illégal du bois avec la complicité des proches du pouvoir et non des moindres, à la cupidité jamais égalée. La liste est longue des activités prédatrices du clan de ceux que les Gabonais ont surnommé la « Young team », qui a fait du Gabon un État failli, dont les richesses nationales ont été confisquées successivement par une poignée d’individus à travers des agences créées pour exercer des activités habituellement dévolues aux ministères et au fonctionnement opaque pour les uns et des sociétés écrans à satiété pour les autres. De nombreux « conseillers » d’Ali Bongo n’étant pas gabonais, le nouveau pouvoir a entrepris d’écarter ce qui restait encore de la « légion étrangère » et la « Young team » du président « mis à la retraite ». Les institutions ont été bafouées et l’État discrédité.
Rendre le Gabon aux Gabonais
Le général Brice Clotaire Oligui Nguema refuse de se laisser qualifier de « putschiste » et préfère parler de « coup de liberté » plutôt que de « coup d’État ». En multipliant les consultations avec toutes les composantes de l’opposition et de la société gabonaise, Oligui Nguema n’a de cesse de marteler : « Que les gens regardent bien ce qui s’est fait dans le monde entier, les coups d’État qui se sont produits. Le nôtre n’est pas un coup d’État. C’est un coup de liberté. Il fallait libérer le peuple gabonais. Nous avons mené une action sans effusion de sang, où Dieu a été avec nous. Il nous a épargnés de tout ce grabuge. »
Aujourd’hui, le chef de la transition multiplie les consultations avec toutes les composantes de l’opposition et de la société civile gabonaise. Trois mois après le coup d’État militaire, les Gabonais sont enclins à faire confiance à ceux qui leur ont permis de retrouver une forme de liberté. Il est certain que le général Brice Clotaire Oligui Nguema est engagé dans un subtil jeu d’équilibre entre toutes les forces qui aspirent au changement et la nécessité de concentrer tous les pouvoirs pendant la période de transition.
Il s’agit d’accélérer le changement afin de rendre le Gabon aux Gabonais et faire en sorte que les richesses du pays redescendent jusqu’aux populations, bien avant le retour de l’ordre constitutionnel. C’est ce à quoi s’est engagé le général Brice Clotaire Oligui Nguema. L’UA, la CEEAC, la communauté internationale et les Gabonais ont choisi de faire confiance aux militaires gabonais.
Dans certains pays membres de la CEEAC, il existe des risques de conflictualités lourdes. Le réajustement de la politique sous-régionale dans les nouvelles dynamiques d’une géopolitique multipolaire complexe et instable, passe par une normalisation des relations entre l’Angola et le Gabon. Cette normalisation est urgente, car elle fait partie d’un processus crédible de stabilisation et de sécurisation durable de l’Afrique centrale. L’hostilité de l’Angola à l’égard du nouveau pouvoir gabonais reste incompréhensible.
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22/12/2023 à 10:47
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