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Géopolitique, géoéconomie, géostratégie : Le nouvel ordre mondial oblige l'Afrique à penser différemment son rapport à la mondialisation

Posté par Christian Gambotti, le 21 juin 2024


 

Par le Pr Christian Gambotti - Agrégé de l’Université, Président du think tank Afrique & Partage, Président du CERAD (Centre d’Études et de Recherches sur l’Afrique de Demain), Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan), Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact email : cg@afriquepartage.org

Vers un nécessaire rééquilibrage au profit de l’Afrique

Je l’ai écrit très souvent, dans plusieurs de mes chroniques, l’Afrique a toujours porté le lourd fardeau de l’Histoire, ce qui l’a empêchée d’être elle-même : la colonisation l’a projetée hors de son identité ; les indépendances politiques se déroulent en pleine période la Guerre froide, ce qui l’oblige, dans un monde bipolaire, à choisir entre le camp du monde libre et celui du bloc soviétique ;  à la fin de la « Guerre froide », comme elle ne représente plus un enjeu idéologique, l’Afrique est oubliée, marginalisée, livrée à elle-même, victime d’un néocolonialisme qui ne dit pas son nom et des appétits d’une Chine qui s’empare du continent à bas bruit ; au XXIè siècle, parce qu’elle est devenue un formidable enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique, l’Afrique est courtisée par la planète entière.

Entretemps, le monde est devenu multipolaire, la mondialisation s’est fragmentée, des grandes zones géographiques se livrent des guerres d’influence et des guerres économiques d’une violence inouïe. Quelles sont ces grandes zones ? Pour simplifier, on distinguera les zones suivantes : le monde chinois, américain, européen, russe, turc, musulman, indien, brésilien, etc. Chacun de ces mondes regarde avec convoitise les richesses naturelles de l’Afrique. Entre temps, une autre segmentation du monde, qui met en scène l’affrontement entre le « Sud global » et l’« Occident collectif », se construit, entraînant sur l’Afrique de nouvelles pressions économiques, politiques et géopolitiques. Symbole de cette nouvelle segmentation du monde, deux événements se déroulent au même moment : d’un côté, tournant le dos à l’Occident, le Forum de Saint-Pétersbourg, sorte de « Davos russe » qui s’est achevé le 9 juin 2024, et, de l’autre, en Suisse, les 15 et 16 juin 2024, réunissant 90 pays, une conférence internationale sur la paix en relation avec la guerre russo-ukrainienne. La Russie n’est pas invitée à cette conférence sur la paix et la Chine a annoncé ne pas s’y rendre.

Face à un monde russe en rupture avec l’Occident et une conférence internationale pour la paix qui tourne le dos à Poutine, face à ses anciens et ses nouveaux « amis », l’Afrique, pour être elle-même, doit résister aux pressions de Moscou, Pékin, Washington, Paris, Ankara, Téhéran, etc., dès l’instant que ces pressions l’obligeraient à choisir un camp, retarderaient son développement, feraient reculer la démocratie et nieraient à chaque État le droit d’exercer sa pleine souveraineté pour décider de la trajectoire de son développement. Or, pour de multiples raisons largement documentées, de nombreux alliés sont, pour l’Afrique, des alliés encombrants, que ce soit Moscou, Pékin, Washington ou Paris. En même temps, tous ses alliés sont, pour elle, des alliés indispensables dans les nouvelles dynamiques des relations internationales. Mais, rien n’est possible pour l’Afrique sans que ne s’opère, au profit du continent, un grand rééquilibrage économique et politique.

Le rééquilibrage économique

Le rééquilibrage économique est-il en train de se produire, lorsque la RDC renégocie avec la Chine le méga contrat minier signé par Kabila avec la Chine ? Lorsque les nouvelles autorités sénégalaises affirment que les contrats signés avec les grandes firmes internationales pour l’exploitation de la manne pétrolière sont négociés dans l’intérêt du pays et des populations ? Lorsque le Gabon accélère les nationalisations, afin de marquer le retour de la souveraineté du pays dans le secteur pétrolier, poumon de son économie ? (2) Ce rééquilibrage économique ne doit pas être relatif, ce qui suppose que soient repensées toutes les formes d’aides et de financements destinées à l’Afrique. Les prêts, avec la succession des annulations et des restructurations de la dette africaine, ne constituent pas une réponse suffisante, dès l’instant que la croissance démographique, toujours exponentielle et vertigineuse sur le continent, annule les effets de la croissance économique, toujours insuffisante. La croissance démographique a, dans tous les domaines, un impact négatif sur la croissance économique, ce qui engage la responsabilité de la communauté internationale.

Le rééquilibrage politique

Il a toujours fallu, pour les États africains, qu’ils fassent preuve, selon les époques, d’une allégeance massive à un camp pour bénéficier de l’aide de leurs alliés. On a pu parler de la Françafrique, de la Chinafrique et, aujourd’hui, de la Russafrique. Isolée sur la scène internationale, la Russie veut faire de l’Afrique son soutien sur la scène diplomatique L’ex-groupe privé paramilitaire russe Wagner (1) qui, sous couvert d’une offre de sécurité aux pays et aux dirigeants qui font appel à lui, a permis à Poutine de s’emparer de l’Afrique. Mais, l’Afrique est loin de répondre aux attentes de Poutine et les dirigeants africains ne se déplacent pas en masse pour soutenir la Russie dans ses visées expansionnistes et néocolonialistes. Seuls les États sahéliens où se sont déroulés des putschs militaires font allégeance à Moscou. Il suffit d’écouter les discours du Capitaine Traoré, président de la transition au Burkina Faso, du Colonel Goïta au Mali et du général Tchiani au Niger pour s’en convaincre. En revanche, les dirigeants africains qui se sont rendus à Moscou ou qui répondent à une invitation pour participer au Sommet de Saint-Pétersbourg ne le font ni par acceptation du narratif russe, ni pour de simples raisons protocolaires. Si tous les États africains cherchent à diversifier leurs partenariats économiques et leurs alliances politiques, afin d’en tirer des avantages, rares sont ceux qui veulent figurer sur une photo de famille poutinienne qui témoignerait d’une allégeance politique à Moscou. Sur la guerre en Ukraine, c’est pour faire entendre la voix de l’Afrique qu’une délégation dirigée par le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui était accompagné par les présidents de la Zambie, des Comores, du Sénégal, ainsi que des représentants congolais, ougandais et égyptien, s’est rendue au Sommet de Saint-Pétersbourg en 2023, après être passée, la veille, à Kiev. Poutine, par pure politesse diplomatique, largement opportuniste et totalement hypocrite, a salué le plan de paix proposé par les dirigeants Africains. Une « approche équilibrée », selon le maître du Kremlin, qui a pourtant refusé le plan de paix africain.

Le rééquilibrage diplomatique

La présence des dirigeants africains à Kiev et à Moscou est une bonne chose, car elle montre que l’Afrique entend participer de plus en plus à l’intense ballet diplomatique des nouvelles relations internationales. Elle veut faire entendre sa voix de trois manières : de façon collective à travers l’Union africaine ; de façon souveraine pour chaque Etat ; de façon diplomatique en participant à des organisations internationales. Mais, l’Afrique, ce sont 54 Etats qui ne portent pas tous le même regard sur le monde. Le Monde Diplomatique du 2 mars 2022 décomptait ainsi les votes lors de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’agression russe en Ukraine : la moitié des pays n’ayant pas soutenu le texte étaient africains (17 abstentions sur 35, un vote contre), 8 États du continent n’ont même pas pris part au vote en « inaugurant une pratique désormais bien installée d’absentéisme calculé » Commentaire du Monde diplomatique : « L’Afrique est à la fois la région la plus réticente à suivre le mouvement de condamnation et la plus divisée dans la réaction au conflit, 50 % environ de ses capitales seulement approuvant les textes soumis à leur appréciation. »

J’entends dire, dans toutes les capitales du monde, « l’Afrique est notre avenir », ce qui n’est pas sans lien avec les richesses naturelles dont regorge le continent : matières premières brutes agricoles (cacao), minières (or, diamant, minerais critiques) ou fossiles (pétrole, gaz). Avant d’être l’avenir des autres, l’Afrique doit construire son propre avenir. Pour cela, il lui faut se réapproprier son sol et son sous-sol, en assurer la gestion et faire descendre les richesses produites jusqu’aux populations.

(1) Wagner a exercé une forme de prédation sur des ressources et les richesses du continent (or, diamant, minerais). Cette prédation continue en Centrafrique où Wagner est toujours présent (2000 à 6000 hommes).

(2) La rente pétrolière du Gabon a été confisquée par un clan, dont la puissance et la richesse reposaient avant tout sur l’appropriation des revenus de l’or noir. La dynastie Bongo s’est avérée incapable de produire le bien-être général. Les décisions prises par le président de la transition, Brice-Clotaire Oligui Nguema, visent à installer le Gabon dans une nouvelle ère de son industrie pétrolière sous réserves de bonnes décisions, dont la nomination de dirigeants compétents et intègres à la tête de le GOC, - Gabon Oil Company -, afin que la relance de l’économie pétrolière bénéficie, à court terme, à l’économie gabonaise en général et que les richesses produites contribuent à l’amélioration des conditions de vie des populations.

Du
09/06/2024
au
16/06/2024
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